Scandale de la viande de cheval : plus qu’une fraude, un révélateur.

La Rome antique nous avait fait découvrir le miel falsifié par adjonction d’amidon, de vins cuits ou de farine. Le Mesnagier de Paris (1393) nous a donné la recette pour faire passer un morceau de bœuf pour de la venaison d’ours ou pour transformer du vin blanc en vin rouge. Louis XV avait dû sévir contre la fraude sur le lait qui prenait des proportions alarmantes. Et il n’est aucune région vinicole qui n’ait eu son scandale dans les dernières années.
Le remplacement de viande de bœuf par du cheval n’est donc qu’un maillon ordinaire dans la longue chaine des escroqueries alimentaires.
Mais il pointe douloureusement du doigt quelques dérives spécifiques de notre époque :

Les dangers du concept de marque

La sophistication grandissante des produits, l’incapacité du consommateur et de nombreux vendeurs à juger des caractéristiques réelles de ces produits ont donné au concept de marque une importance extravagante.
La marque, qu’elle soit de distributeur ou de fabricant, masque le produit et ses caractéristiques. Elle s’autoproclame protectrice du consommateur, à la pointe de la recherche et au cœur de l’innovation, sélectionnant ses produits et ses fournisseurs, contrôlant les processus de distribution et de fabrication. La marque s’engage et attend en retour la confiance de ses clients.
Il suffit de parcourir quelques sites pour constater que le discours marketing parfaitement rodé fait peu à peu disparaître toute caractéristique précise du produit au profit de photos (en général accompagnées d’un commentaire indiquant qu’elles ne sont pas contractuelles!) et d’appels incantatoires à la confiance.
Par exemple sur le site Findus (mais le choix de cet exemple n’est dû qu’à l’actualité du jour), vous pourrez trouver
« Notre engagement Agri Confiance
La confiance, de la fourche à la fouchette!(sic !)
Une démarche et un engagement unique
La démarche Agri Confiance ® est unique : elle engage à la fois les producteurs agricoles, l’entreprise coopérative de collecte et son entité industrielle.

Elle couvre donc l’ensemble de la chaîne de production et permet ainsi la traçabilité complète de vos produits alimentaires, en identifiant parfaitement toutes les étapes de la production des produits : de la parcelle ou du bâtiment d’élevage jusqu’à la transformation du produit. »

Mais il suffit qu’un incident survienne pour constater que le roi est nu !
Sur une fraude qui dure apparemment depuis au moins 6 mois, la détection n’a été faite que très tardivement et après quelques alertes périphériques émises par les autorités sanitaires irlandaises et anglaises. Et la réaction des marques est essentiellement d’annoncer des plaintes contre leurs fournisseurs. On accrédite ainsi l’idée que la marque est victime, au même titre que le consommateur. Picard indique sur son site dans une vidéo : « nos cahiers des charges sont extrêmement stricts et n’ont pas été respectés. ».
Bien sûr, il y a sans doute fraude de certains fournisseurs et ils doivent être punis. Mais cela n’exonère en rien les marques de leur obligation de contrôle. Il ne suffit pas d’envoyer une « lettre au Père Noël » appelée cahier des charges aux fournisseurs pour leur transférer toute responsabilité.
L’engagement proclamé des marques implique qu’elles soient pleinement responsables des produits qu’elles délivrent…et donc qu’elles mettent en place tous les moyens de contrôler leur qualité. C’est au minimum une exigence morale et il serait bon que cette exigence ait une traduction juridique.

La réaction immédiate de pouvoirs publics

Comme à l’accoutumée, dès l’affaire révélée, les pouvoirs publics ont fait montre d’un activisme et d’un volontarisme admirables. Interviewé, un ministre déclare : « nous avons immédiatement réagi », l’Europe se réunit d’urgence et tout le monde s’agite pour trouver, trop tard, des solutions imparables et définitives.
Mais qu’attendons-nous de pouvoirs publics auxquels nous consacrons 45% de notre richesse nationale ? Bien sûr et avant tout qu’ils nous protègent, des voleurs, des brigands, des menaces intérieures et extérieures, des escrocs. Pas uniquement qu’ils nous plaignent et jurent de devenir efficaces quand le mal est survenu.
Alors ?
Aucun spécialiste n’ignorait l’extraordinaire complexité des circuits industriels actuels. Aucun spécialiste n’ignorait la tentation de fraude que recèlent des produits composés, hachés, surgelés qui n’ont plus aucune caractéristique visuellement détectable. Et chacun sait depuis toujours que les sociétés à la santé chancelante sont particulièrement sujettes à la tentation de fraude.
Alors qu’ont fait les pouvoirs publics ? Qu’a fait la « meilleure administration du monde » ?
Sur notre nation règne un coq, pardon un gouvernement et une administration, tellement convaincu de son importance qu’il s’imagine, par son chant, faire lever le soleil. Mais qu’advient-il lorsqu’il oublie de chanter (pardon de faire son travail) et que le soleil se lève tout de même ? Il essaye de chanter encore plus fort, mais devient la risée de son peuple.
Nous n’attendons pas d’un gouvernement qu’il réagisse, nous attendons qu’il anticipe.

Le rôle des medias.
De la même manière les médias tournent en boucle depuis 10 jours sur l’affaire. Sans d’ailleurs dévoiler beaucoup plus que les communiqués de presse des acteurs principaux.
Les journaux se plaignent de ne plus être lus, l’audiovisuel de n’avoir plus la confiance de ses auditeurs. Mais à qui la faute ?
Qui a sérieusement enquêté à temps sur les tortueux méandres de l’industrie alimentaire ? Qui nous a informés à temps de ces curieux procédés ? Qui s’est penché sur les mythes de l’étiquetage et de la traçabilité ?
Certes, il est plus rentable de faire de l’audience avec quelques faits divers montés en épingle, de reproduire des dépêches d’agence ou des communiqués de presse, d’exercer sa perspicacité sur quelques petites phrases qui cachent l’essentiel.
Bien sûr les contraintes économiques rendent inutile la censure : qui donc aurait le temps nécessaire à un travail sérieux ? Qui oserait se lancer dans un travail qui pourrait irriter un annonceur ? Qui prendrait le risque d’un sujet un peu profond capable de décourager quelques zappeurs impatients ?

Nous n’attendons pas des medias qui crient avec les loups, nous cherchons des medias qui nous informent. Ce pourrait être là une grande ambition pour qui prétend être un contre-pouvoir.

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