Vous êtes peut-être en colère, pour des raisons diverses ; et si vous n’aviez pas choisi l’un des finalistes au premier tour, le choix offert pour ce deuxième tour de scrutin accroit encore votre exaspération, et votre perplexité.

Pour autant, il faut bien choisir et la vie n’est qu’une succession de choix, souvent évidents, quelquefois difficiles, parfois tragiques[1]. Des choix qui parfois conditionnent votre futur…des choix qui faute d’être faits sont souvent des facteurs de ressentiment, voire d’échec.

L’élection de dimanche est l’un de ces choix.

Les candidats rivalisent de promesses, pour les jeunes, les vieux, les ruraux, les urbains…. Et vous savez tous que ces promesses ne sont pas l’essentiel et n’engagent que ceux qui les croient, que l’avenir se chargera sans doute de les rendre impossibles, inutiles ou inefficaces.

Les candidats rivalisent de séduction, en flattant leurs publics, en travaillant bons mots, gestes et sourires, en caressant leurs chats… Mais vous savez que c’est un spectacle longuement préparé, un spectacle qui masque les enjeux majeurs : l’aptitude des candidats à faire face aux situations à venir et le type de société qu’ils proposent.

Marine Le Pen revendique sa proximité avec le modèle hongrois porté par M. Orban (qui fait financer la campagne de Mme Le Pen par l’une de ses banques[2] et l’a officiellement soutenue lors du meeting du 5 février 2022) et elle promeut régulièrement la Hongrie comme modèle.

Il est donc intéressant d’observer comment s’est développé le modèle hongrois après 16 ans de pouvoir de M. Orban.

M.Orban est arrivé au pouvoir en Hongrie en 1998, dans une coalition qui ne lui permettait pas de déployer son projet. Il a perdu les élections de 2002 puis est revenu au pouvoir en 2010 après la crise de 2008 avec une majorité suffisante pour réaliser son programme. Il est au pouvoir depuis et a été récemment reconduit aux élections de 2022.

Son programme de 2010 parlait de redressement économique, de création d’emploi, de lutte contre la corruption, de réductions d’impôt et de la bureaucratie, de loi et d’ordre, d’aide aux agriculteurs, d’augmentation des rémunérations des personnels de santé, de renforcement des sanctions judiciaires, de famille, de confiance, d’honneur…

12 ans après, on peut faire le bilan d’une action très différente des promesses faites, dont voici les principaux points :

Modifications législatives et de la constitution dès 2011 et 2013 :

• Conseil des médias de 5 membres nommés en fait par le parti au pouvoir pour une durée longue pour « encadrer la liberté » de la presse qui a fortement régressé depuis
• Suppression de l’article indiquant « Salaire égal à travail égal »
• Droit de grève réduit
• Limitation du rôle de la cour constitutionnelle
• Nombreuses lois ne pouvant plus être modifiées qu’à la majorité des 2/3 limitant à l’excès les pouvoirs des futures majorités
• Emprisonnement des sans-abris après 3 avertissements
• Impôt sur le revenu : imposition au taux unique de 16% sans progressivité
• Taux de TVA normal à 27% avec taux réduit de 18% pour alimentation et 5% pour quelques produits
• Autorisation aux employeurs d’exiger 400h supplémentaires annuelles payées 3 ans après
• Référence explicite à Dieu dans la constitution et transfert de nombreuses écoles communales aux églises.
• Réduction immédiate de l’âge de retraite des magistrats de 70 à 62 ans avant de le relever à 65, ce qui a permis de se débarrasser de tous les hauts magistrats et d’en nommer de nouveaux plus dociles.
• Très fortes restrictions du droit d’association
• Transferts des universités et de leurs biens à des fondations privées contrôlées par des fidèles du pouvoir nommés à vie. Passage des enseignants sous statut privé. Méthode également utilisée pour des biens culturels et touristiques. Interdiction de l’université d’Europe centrale qui a dû s’exiler en Autriche mais accueil d’une université chinoise.
• Lőrinc Mészáros, l’homme le plus riche de Hongrie, qui indique devoir sa fortune à « Dieu, la chance, et Viktor Orbán », a construit toute sa fortune sur des marchés publics (souvent sans concurrence) essentiellement financés par des subventions européennes. C’est lui qui finance la campagne électorale 2022 de Marine Le Pen

Au-delà des discours, la réalité des politiques

• 4^e pays mondial pour le taux de décès COVID avec 4700/million d’habitants contre 2092 en France[3]. La vaccination a été principalement faite avec les vaccins chinois et russes.
• Mortalité des malades du covid 2.44% contre 0.52 en France[4]
• Dépenses de santé en 2019, 6.4% du PIB contre 11.1% en France[5]
• Age de la retraite à 65 ans pour les hongrois nés après 1957 alors que l’espérance de vie à 60 ans est de 6 ans plus faible qu’en France[6]. Le coût des pensions en 2019 est de 14.8% du PIB en France contre 7.3% en Hongrie. Il était de 10.7% en Hongrie à l’arrivée au pouvoir du Fidesz en 2010
• La France consacre 5.4% de son PIB à l’éducation, la Hongrie 4.07% [7]
• La Hongrie a été le dernier état européen à accepter l’impôt mondial minimum de 15% visant à réduire l’optimisation fiscale des multinationales
• Indice de perception de la corruption 2021 : Hongrie 43, 73^e mondial (était 46^e en 2009 juste avant arrivée du Fidesz au pouvoir). La France a un indice de 71, au 22^e rang mondial[8].
• Aucun des rapports de 20 fraudes sur l’utilisation des fonds européens transmis par l’OLAF (office européen de lutte anti-fraude) à la Hongrie en 2018 n’a donné lieu à des poursuites du parquet hongrois.

De la régularité des élections législatives 2022

• L’opposition a disposé de quelques minutes d’antenne sur les médias publics et de presque rien sur les médias privés qui appartiennent à des amis du pouvoir, sans autre alternative du fait de l’interdiction de toute publicité politique
• En affichage, le Fidesz a disposé de 13 fois plus de surfacel que l’opposition du fait de la concentration de la propriété des panneaux
• L’OSCE, exceptionnellement missionnée pour surveiller la régularité des élections a fait de nombreuses observations portant notamment sur :
  • La confusion entre le parti candidat et le gouvernement l’un utilisant les moyens de l’autre et les campagnes gouvernementales chevauchant les campagnes électorales,
  • Le chevauchement d’un référendum et des élections
  • L’absence de liberté des médias,
  • La non prise en compte des évolutions démographiques dans la définition des circonscriptions,
  • Les incertitudes sur l’inscription sur les listes électorales,
  • L’absence de transparence du financement et des dons, la non prise en compte des dépenses effectuées par des tiers,
  • L’envoi de courriers gouvernementaux empiétant sur la campagne à l’aide de  données personnelles,
  • Les pressions sur les communes rurales pour obtenir des votes au profit du pouvoir[9]

Quelques points particuliers

            Sur l’Europe, Mme Le Pen et M. Orban partagent une vision commune : on veut bien une Europe, mais une Europe où chaque législation nationale est prioritaire devant la législation européenne. En un mot je veux bien jouer à la belote avec vous mais mes règles sont prioritaires sur celles du jeu !!!  Il faut rappeler à ce sujet que les domaines de L’Union Européenne sont fixés par des traités ratifiés par chaque état et qu’il reste de nombreux domaines relevant des états[10]. Il faut noter par ailleurs qu’aucune législation européenne n’est adoptée sans le consentement du conseil des ministres et pour l’essentiel du parlement européen[11]

Madame Le Pen diffère cependant de M. Orban car elle veut récupérer de l’union européenne l’équivalent de sa contribution ou, « je veux bien payer des impôts, une cotisation d’assurance, des cotisations sociales mais je veux récupérer exactement ce que j’ai payé »… Un monde de rêve!

Il est d’ailleurs à noter que Mme Le Pen est mise en examen depuis 2018 pour détournement de 339000€ fonds européens[13] et qu’un nouveau dossier de l’OLAF récemment transmis à la justice française pour enquête pour une somme de 139000€.

 Enfin, en politique étrangère, Mme Le Pen propose de renforcer les alliances avec la Russie[12]  et la Grande Bretagne (???) et de mettre fin aux coopérations industrielles avec l’Allemagne (différant sur de dernier point de La Hongrie qui vit essentiellement de ces coopérations)…Un réalisme sidérant.

Même en colère,

est-ce dans ce type de société que nous voulons vivre ?

[1] Pensons un instant aux mères ukrainiennes qui doivent choisir entre abandonner mari et maison pour sauver leurs enfants ou rester sous les bombardements russes

[2] Après le financement de la campagne de 2017 par une banque russe, prêt toujours non remboursé à ce jour.

[3]  Source Our word in data 18/4/22

[4] Johns Hopkins University 18/4/2022

[5]https://stats.oecd.org/Index.aspx?lang=fr&DataSetCode=PDB_LV

[6]  Espérance de vie à la naissance 2020 :  Hongrie 75.7, France 82, Espérance de vie à 60 ans 2019 : hongrois 17.8 ans, Français 23.6 ans, hongroises 22.5 ans, Françaises 28.2 ans. L’espérance de vie à 60 ans est celle de tous ceux qui ne sont pas décédés avant cet âge (source OCDE)

[7] Source Eurostat

[8] https://transparency-france.org/publications/indices-de-perception-de-corruption/#.Yl2M6NpBwuU

Voir aussi rapport sénatorial français

https://www.senat.fr/rap/r20-146/r20-1464.html

[9] https://www.hrw.org/fr/news/2022/04/05/hongrie-le-verrouillage-du-pouvoir-par-le-parti-majoritaire-menace-lunion

Et https://www.osce.org/files/f/documents/4/6/515111.pdf (en anglais)

[10] https://ec.europa.eu/info/about-european-commission/what-european-commission-does/law/areas-eu-action_fr

[11] https://ec.europa.eu/info/law/law-making-process/types-eu-law_fr et https://ec.europa.eu/info/law/law-making-process/adopting-eu-law_fr

[12] Rappelons que la Russie a financé la campagne de 2017 par un prêt non encore remboursé à ce jour.  Marine De Pen déclarait à l’Express le 24 mars 2017 : « Je vois en Vladimir Poutine une nouvelle vision d’un monde multipolaire, une vision de coopération et non pas de soumission ni une vision belliciste telle que celle exprimée trop souvent par l’Union Européenne » et elle a confirmé le 10 avril 2022 sur BFM qu’elle ne regrettait pas d’avoir dit qu’il n’y avait pas eu d’invasion russe de la Crimée.

[13] https://www.francetvinfo.fr/politique/front-national/affaire-des-assistants-fn-au-parlement-europeen/les-magistrats-ont-cloture-l-information-judiciaire-sur-les-assistants-parlementaires-des-eurodeputes-du-fn_4778011.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_des_assistants_parlementaires_du_Front_national_au_Parlement_europ%C3%A9en

https://www.leparisien.fr/faits-divers/la-justice-saisie-apres-un-rapport-accusant-marine-le-pen-de-detournement-de-fonds-europeens-16-04-2022-7QI2JBDVEZFWHBCUP7ERWJTOBE.php