Air France, Talion et populisme

Le 5 octobre dernier, quelques salariés d’Air France ont violemment agressé certains cadres et vigiles du groupe. Les clichés et vidéos de l’évènement ont fait le tour du monde et suscité une stupeur et une réprobation quasi unanimes. Le 12 octobre dernier, 6 de ces salariés ont été interpelés à leur domicile et mis en garde à vue, 5 d’entre eux étant déférés au parquet pour « violences aggravées » et la direction d’Air France a annoncé des mesures disciplinaires à l’encontre de ces salariés.
Et aussitôt, derrière quelques syndicats et partis de la gauche de la gauche, les medias, puis une partie non négligeable de l’opinion publique ont considéré que ces sanctions étaient injustes, la violence physique ne faisant que répondre à la violence sociale des actionnaires. Argument définitif qui justifierait et excuserait cette violence, certains salariés impliqués seraient délégués syndicaux.
Bigre! Reniant ainsi plus d’un siècle d’enseignements de l’école républicaine et la patiente construction d’une justice codifiée et indépendante qui sont les fondements même de notre société démocratique, nous en serions revenus à la loi du Talion, celle-là même qui montre autant de réussite au moyen orient.
Fini le modèle de société basé sur une socialisation qui prône l’oralisation plutôt que la force comme méthode d’expression, le dialogue, la grève, ou la justice en cas d’échec, comme moyen de résolution des différends.
Fini l’équilibre social qui interdit aux patrons de porter entrave à l’action syndicale et qui dorénavant autoriserait les délégués syndicaux à toute action violente en cas de désaccord ?
Comment expliquer alors au collégien qui reçoit un mauvais bulletin qu’il ne faut pas frapper les enseignants qui menacent ainsi son avenir, comment expliquer à l’écolier qu’il ne faut pas se venger d’un camarade qui lui a « manqué de respect » et menace ainsi sa dignité, comment expliquer à l’automobiliste irascible qu’il ne faut pas faire le coup de poing avec le livreur qui va lui faire manquer un important rendez-vous en obstruant la rue ? Comment expliquer à un joueur de foot qu’il ne faut pas frapper celui qui menace son score ?
La force de la loi, sur laquelle repose la paix de la société, et qui interdit de se faire justice soi-même, c’est qu’elle s’impose à tous, en toutes circonstances et qu’elle doit être identiquement appliquée à tous (1). Regardons le monde pour voir ce qui se passe dans les pays où ce n’est pas le cas et travaillons plutôt à renforcer cette règle plutôt qu’à justifier des exceptions au profit de ceux dont nous partageons les causes.

Note : Sur le fond, on peut s’interroger sur la signification du fait que le fameux plan B ait été voté à l’unanimité des membres du conseil d’administration, c’est à dire avec les voix des représentants du personnel et du gouvernement.
Ajoutons, pour ceux qui ne veulent ni dialoguer ni négocier, que si les actionnaires et les dirigeants sont réellement des incapables cupides, la valeur actuelle du groupe en bourse (1926 millions €) permettrait facilement au personnel d’acquérir les 43% qui lui manquent pour contrôler totalement le groupe (828 M€) et prouver ses théories. Il suffirait aux 8000 personnels navigants techniques d’investir 100 k€ chacun, ou en cas d’accord plus global au sein des 90000 membres du personnel, d’investir chacun 9200 €. C’est bien peu pour une prétendue pépite qui n’attendrait que des actionnaires et des dirigeants compétents pour exprimer tout son potentiel. Mais il est sans doute plus facile de taper sur quelques cadres que de prendre ses responsabilités. C’est même le fondement du populisme.

(1) Malheureusement, les exemples sont nombreux de violences qui n’ont jamais été sanctionnées et qui laissent à penser aux plus extrémistes que le bénéfice médiatique des violences est bien supérieur aux risques encourus.